Très cher Jules,

Dans le répertoire de mon portable, tu te trouves à la lettre « P ».
Le P de petit Jules.
Quel drôle de choix d’adjectif. Toi, qui dépassais tout le monde. Toi devant qui, je me sentais moi souvent toute petite. Le mot « petit » ne faisait qu’exprimer cet immense amour que j’ai pour toi.

Je me rappelle d’une promenade que nous avons faite au bois de la Cambre. Toi, ton frère Elliott et moi. Vous étiez encore enfants mais déjà, très observateur,  tu voyais tout. Tu avais remarqué que pour des travaux d’aménagement, il y avait des monticules de sable un peu plus loin, sur la gauche. Avec  beaucoup d’enthousiasme, tu as commencé à crier :
Elliott, t’as vu la bas? Vas-y, cours, saute et roule-toi dedans. Elliott s’encourait. Et toi tu le vivais avec une telle joie, comme si tu étais au-delà de ton corps et que tu rejoignais ton frère dans ses ébats. Oui, tu avais compris comment se  déconditionner. Tu avais compris comment se libérer des limites imposées par la vie.

Pour moi, tu étais quelqu’un de très confrontant. Ton regard soutenu, tes remarques pertinentes, tes réponses ou absences de réponses et tes interminables silences qui en disaient long, tout cela me mettait souvent mal à l’aise. Me renvoyaient à mes propres faiblesses, mes propres limites. Mes ombres non visitées. Parce qu’on ne pouvait pas tricher devant toi. Ne pas se cacher. Ne pas te raconter des  salades. On était obligé de jouer franc. D’être intègre.  On était obligé de voir ce qui se passait à l’intérieur de nous. Faire face. Et c’est seulement en faisant face, en se retournant vers soi qu’on découvre notre essence, qu’on évolue et qu’on devient un peu meilleur.

Rappelle toi aussi ce joyeux moment – pas pour tout le monde je crois – où on avait décidé d’aller voir un concert à la Samaritaine. Pas moins accessible que les caves de la Samaritaine. Même pour des personnes valides. Mais ton père renonçant à rien pour partager le plus possible avec toi, avait estimé après un rapide repérage, qu’on arriverait à descendre ta chaise. On y est arrivé. Cinq gros baraqués qui la tiraient et autant qui la poussaient. Ça a bien pris ¾ d’heure. Pour la rentrer, et pour la sortir. Et toi, pendant ce temps-là, tu étais dans mes bras, sur mes genoux. Et c’est là, en étant  tout tout près de toi, que j’ai senti ton calme intérieur. Cette extrême quiétude avec laquelle tu accueillais les choses de la vie. Comme si tu étais en paix avec tout.

Quelle grandeur d’esprit pour vivre dans ce corps comme tu l’as fait. Avec tellement de joie, de justesse, d’attention, de souplesse, d’élégance, de délicatesse, d’humour et surtout de l’amour. Souvent, on disait, tiens, moi, à sa place… Jules, je crois que personne ne pouvait se mettre à ta place, parce que rares sont ceux qui arrivent sur cette terre avec cette même grandeur d’esprit qui permet de se mettre à ta place.

Et te voilà ailleurs, volant de tes propres ailes,  parti vers d’autres aventures. On ne sait pas où, mais j’espère que là où tu es, il y aura des monticules de sables dans lesquelles tu pourras courir, sauter et te rouler.
Nous, de notre côté, on fera de notre mieux pour intégrer ta force, ta sagesse, ta grandeur et ton intelligence divine pour devenir des témoins vivants de ton passage sublime.
Une merveilleuse possibilité de s’élever et d’aller à ta rencontre.

Bon voyage, mon petit grand Jules.

 

Catje